Une ambition continentale pour une connectivité accrue
Les routes commerciales transafricaines s’affirment aujourd’hui comme une stratégie clé dans la poursuite du développement économique de l’Afrique et de son intégration régionale. Alors que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) entre dans sa phase opérationnelle, les infrastructures routières jouent un rôle fondamental pour faciliter les échanges intra-africains. À l’horizon 2040, l’Union africaine prévoit la modernisation et l’extension de réseaux de transport qui relieront les principaux pôles économiques et les zones enclavées, transformant ainsi la géographie commerciale du continent.
L’ambition est claire : créer un marché continental intégré fondé sur la libre circulation des biens, des personnes et des services, et reliant les 55 pays membres de l’Union africaine. Cet objectif ne peut être atteint sans une amélioration significative de la connectivité physique à travers des corridors commerciaux transafricains bien définis, efficaces et durables.
Les corridors transafricains existants et projetés
Plusieurs projets d’envergure sont actuellement en cours dans le cadre du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), coordonné par l’Union africaine, la Banque africaine de développement (BAD) et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA).
Parmi les plus importants, on retrouve :
- Le Corridor de transport Nord-Sud : reliant l’Afrique du Sud à la République démocratique du Congo via le Zimbabwe, la Zambie et le Botswana. Il soutient les mouvements de marchandises entre les ports sud-africains et les pays enclavés d’Afrique australe.
- Le Corridor Abidjan-Lagos : considéré comme l’un des projets les plus intégrateurs, il reliera cinq capitales ouest-africaines (Abidjan, Accra, Lomé, Cotonou, Lagos) où réside environ 30 % de la population de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
- Le Corridor Mombasa-Kampala-Kigali : essentiel pour le commerce en Afrique de l’Est, ce corridor favorise l’accès au port kenyan de Mombasa pour le Rwanda et l’Ouganda. Il est en cours de modernisation avec notamment des projets ferroviaires intégrés.
- La Trans-Sahélienne : qui relie Dakar à N’Djamena via Bamako, Ouagadougou et Niamey, traversant l’un des axes économiques les plus dynamiques de la région sahélienne.
- La Transafricaine Lagos-Mombasa : longue de plus de 6 000 km, elle vise à connecter l’océan Atlantique à l’océan Indien, traversant le Nigéria, le Cameroun, la République centrafricaine, la RDC, l’Ouganda et le Kenya.
Ces routes commerciales ne se limitent pas aux axes routiers. Elles s’intègrent dans une stratégie multimodale incluant les réseaux ferroviaires, électriques, les infrastructures portuaires et les plateformes logistiques.
Impact économique des routes commerciales transafricaines
Le manque d’infrastructures de transport coûte à l’Afrique environ 2 % de croissance économique annuelle, selon la Banque africaine de développement. Moins de 15 % du commerce africain s’effectue actuellement entre pays africains, une proportion faible comparée à l’Europe (60 %) ou à l’Asie (50 %).
La mise en place de corridors commerciaux performants pourrait inverser cette tendance. D’après une étude de la CEA (2021), une augmentation des échanges intra-africains grâce à une meilleure connectivité pourrait accroître les revenus commerciaux de 60 % à l’horizon 2040. Cela générerait :
- Une baisse des coûts logistiques actuellement estimés à 40 % de la valeur des biens échangés en Afrique contre seulement 8 % en Asie.
- Une stimulation des chaînes de valeur régionales dans les secteurs de l’agro-industrie, du textile, des matériaux de construction et des technologies.
- Un renforcement de la résilience face aux chocs exogènes, comme ceux observés durant la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine.
En effet, la dépendance aux importations extra-africaines soulève des enjeux critiques en matière de sécurité alimentaire et énergétique. Des routes commerciales africaines efficaces permettraient de stimuler la production continentale et les échanges locaux, réduisant ainsi cette vulnérabilité.
Des défis persistants dans la mise en œuvre
Malgré ces perspectives prometteuses, plusieurs défis compromettent encore l’ambition des routes commerciales transafricaines :
- Financement des infrastructures : On estime à 93 milliards de dollars par an les besoins de financement en infrastructures en Afrique, selon la Banque mondiale. Or, l’investissement actuel se situe autour de 45 milliards de dollars/an, laissant un déficit considérable.
- Instabilité politique et insécurité : De nombreux corridors traversent des régions affectées par des conflits (Sahel, RDC, Corne de l’Afrique), ce qui rend difficile la mise en œuvre ou la sécurisation des projets routiers.
- Harmonisation réglementaire : Le transport transfrontalier nécessite des cadres juridiques et réglementaires convergents (normes douanières, licences de transport, mécanismes de taxation). L’absence d’harmonisation ralentit la fluidité des échanges.
- Déficit de capacités techniques locales : Le manque de main-d’œuvre spécialisée dans les métiers d’infrastructure et de planification reste un frein au développement durable de ces projets.
Pour relever ces défis, les institutions régionales et internationales misent sur des partenariats public-privé (PPP), la participation du secteur privé et la création de zones économiques spéciales le long des corridors pour attirer les investissements industriels et logistiques.
Vers une forge d’unité économique africaine
Les routes commerciales transafricaines représentent bien plus que des axes routiers. Elles sont des artères essentielles pour la transformation économique de l’Afrique. En reliant les zones rurales aux centres urbains, les pays enclavés aux ports internationaux, elles facilitent l’émergence de nouveaux hubs économiques régionaux et encouragent la distribution équilibrée de la croissance.
Par leur rôle stratégique dans la mise en œuvre de la ZLECAf, ces routes participent activement à l’ambition panafricaine de bâtir une économie autosuffisante et compétitive à l’échelle mondiale. Elles pourraient augmenter de manière significative le produit intérieur brut du continent, estimé aujourd’hui à environ 2 700 milliards de dollars, selon la BAD, mais qui pourrait connaître une croissance exponentielle avec l’essor du commerce intra-africain encadré par une infrastructure de qualité.
La vision 2040 de l’Union africaine, dans le cadre de l’Agenda 2063, repose donc sur ces corridors commerciaux comme piliers du développement et de l’intégration. Ils symbolisent l’appropriation, par les Africains, des leviers de leur croissance et leur souveraineté économique collective.