Les enjeux de la souveraineté alimentaire en Afrique

La souveraineté alimentaire fait référence au droit des peuples à définir leurs propres systèmes agricoles, alimentaires et nutritionnels, en mettant l’accent sur la production locale et durable. En Afrique, ce concept prend une importance croissante dans un contexte marqué par l’insécurité alimentaire, la dépendance aux importations, la vulnérabilité climatique et les chocs géopolitiques. À l’horizon 2040, atteindre une souveraineté alimentaire réelle nécessite de repenser les systèmes agricoles à travers la relocalisation de la production, l’amélioration de la sécurité nutritionnelle et l’adoption d’innovations technologiques adaptées aux réalités du continent.

Selon la FAO, plus de 282 millions de personnes en Afrique étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2022, soit près de 20 % de la population africaine. Le continent importe environ 85 % de ses denrées alimentaires transformées, exposant les pays africains aux fluctuations des marchés internationaux et aux perturbations globales comme celles observées durant la pandémie de la COVID-19 et la guerre en Ukraine.

Relocaliser l’agriculture pour réduire la dépendance alimentaire

La relocalisation des chaînes de valeur agricoles est un levier essentiel pour renforcer la souveraineté alimentaire. Cela signifie produire localement ce que l’on consomme et transformer sur place les matières premières agricoles.

Plusieurs pays africains ont lancé des stratégies en faveur de cette relocalisation :

  • Le Rwanda mise sur des programmes tels que « Crop Intensification Programme » pour augmenter la production vivrière locale.
  • Le Nigéria a introduit le programme « Anchor Borrowers’ Programme » qui lie les petits agriculteurs aux agro-industries locales.
  • Le Maroc, avec son « Plan Maroc Vert », privilégie les cultures stratégiques et favorise le développement des filières agroalimentaires.

En parallèle, l’intégration régionale, à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), offre des opportunités pour dynamiser les chaînes de valeur régionales, réduire les coûts de transport et favoriser les échanges intrafricains, aujourd’hui encore inférieurs à 15 % selon la Banque africaine de développement.

Améliorer la sécurité nutritionnelle et la qualité des aliments

La souveraineté alimentaire ne se limite pas à l’autosuffisance en calories ; elle implique aussi une alimentation équilibrée, diversifiée et culturalement appropriée. L’Afrique fait face à un double fardeau nutritionnel : la sous-alimentation chronique touche encore un quart de sa population, tandis que l’obésité et les maladies non transmissibles augmentent rapidement en milieu urbain.

Des réponses politiques émergent à travers des programmes de nutrition soutenus par les gouvernements et les ONG :

  • Le Plan d’action décennal de l’Union Africaine pour la nutrition (2016-2025) vise à éliminer la malnutrition infantile sous toutes ses formes.
  • Des initiatives locales favorisent les cultures traditionnelles très nutritives telles que le fonio, le sorgho, le millet ou les légumineuses.
  • Le biofortification des cultures, notamment du maïs et du manioc enrichis en vitamine A, devient une voie prometteuse pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments essentiels.

L’éducation nutritionnelle, combinée à la transformation agroalimentaire locale, permet également d’améliorer les habitudes de consommation tout en stimulant les économies rurales.

Le rôle crucial de l’innovation agricole et technologique

L’agriculture africaine est confrontée à de nombreux défis : faibles rendements, absence d’infrastructures, changement climatique, dégradation des sols. Or, le secteur agricole représente plus de 60 % des emplois en Afrique subsaharienne selon la Banque mondiale. Investir dans l’innovation permettrait de démultiplier la productivité et la résilience du secteur.

Les innovations agricoles en Afrique se déclinent sur plusieurs niveaux :

  • Technologies numériques : des plateformes mobiles comme WeFarm ou Hello Tractor connectent les producteurs aux conseils agricoles, aux équipements et aux marchés.
  • Agroécologie : une agriculture fondée sur la gestion durable des ressources naturelles se développe avec des modèles comme la permaculture ou l’agroforesterie.
  • Biotechnologies : le développement de variétés résistantes à la sécheresse ou aux parasites, comme dans des projets menés par l’AATF (African Agricultural Technology Foundation).

Par ailleurs, la recherche et le transfert de technologie doivent être renforcés par des partenariats entre instituts scientifiques africains, universités locales et bailleurs de fonds internationaux. Les institutions comme le Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA) œuvrent pour une meilleure coordination continentale de l’innovation agricole.

Politiques agricoles et financements endogènes

La souveraineté alimentaire en Afrique repose également sur des choix politiques clairs et des financements structurants. Depuis le sommet de Maputo en 2003, les États africains se sont engagés à consacrer au moins 10 % de leur budget national à l’agriculture. Deux décennies plus tard, seuls une poignée de pays, tels que l’Éthiopie ou le Burkina Faso, y parviennent réellement.

Les financements agricoles doivent être orientés vers :

  • Le soutien aux petits exploitants agricoles, qui produisent plus de 70 % de la nourriture sur le continent.
  • L’accès au crédit rural via des banques agricoles ou des mécanismes de garantie.
  • Le développement d’infrastructures rurales : routes, accès à l’eau, stockage, irrigation.

Des solutions innovantes se développent également à travers le financement participatif agri-tech (crowdfunding) ou l’assurance climatique paramétrique – comme le programme ARC (African Risk Capacity) – qui protège les agriculteurs contre les aléas climatiques.

Perspectives à l’horizon 2040 : vers une résilience alimentaire

À l’horizon 2040, la démographie africaine prévoit une population de près de 2,5 milliards d’habitants, selon les prévisions des Nations unies. Cette pression accentuera les besoins alimentaires, particulièrement pour les jeunes, qui représenteront plus de 60 % de la population.

Parvenir à la souveraineté alimentaire d’ici là exige une approche intégrée combinant :

  • Une vision politique panafricaine claire, comme celle portée par l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
  • La reconnaissance des petits producteurs et des femmes comme piliers de la production et de la transformation alimentaire.
  • Des investissements massifs dans les infrastructures, la recherche et la formation agricole.

La souveraineté alimentaire en Afrique repose sur une transformation structurelle du secteur agricole. Ce chemin, bien que complexe, est entamé par plusieurs pays et offre un potentiel immense de croissance inclusive, de stabilité sociale et de protection des écosystèmes africains. L’objectif est ambitieux, mais les outils sont à portée de main, à condition de renforcer les engagements politiques, la coopération régionale et l’autonomisation des agriculteurs africains.

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