Une croissance économique décentralisée : le rôle inédit des villes secondaires

Longtemps éclipsées par les capitales et les grandes métropoles, les villes secondaires africaines émergent aujourd’hui comme des pôles dynamiques de transformation économique, d’innovation locale et de résilience sociale. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2023, ces centres urbains de taille moyenne accueilleront près de 45 % de la population africaine urbaine d’ici à 2040. Au cœur de cette transformation silencieuse mais stratégique, ces villes redéfinissent les trajectoires de développement du continent africain.

Les villes secondaires, telles que Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, Kisumu au Kenya, Gulu en Ouganda ou encore Bouaké en Côte d’Ivoire, connaissent une croissance démographique rapide, tout en offrant des opportunités économiques significatives, notamment dans les secteurs agricoles, artisanaux et technologiques. Cette mutation représente une opportunité capitale pour revoir les modèles de croissance inclusive, diversifiée et durable.

Comprendre les villes secondaires africaines

Le terme « ville secondaire » désigne des agglomérations urbaines de taille moyenne, souvent comprises entre 100 000 et 1 million d’habitants. Elles ne sont pas les capitales politiques ni les plus grandes villes économiques de leur pays, mais elles jouent un rôle clé dans la connectivité territoriale, les échanges régionaux et l’accès aux services pour des millions de citoyens.

Ces villes forment des réservoirs de main-d’œuvre jeune, un marché en expansion pour les biens et services, et des nœuds logistiques entre zones rurales productrices et centres urbains consommateurs. Selon « Africa’s Urbanization Dynamics 2022 » (OCDE et Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest), l’urbanisation intermédiaire représentera le moteur principal de la croissance urbaine africaine dans les deux prochaines décennies.

Un vivier d’innovation locale et d’entrepreneuriat

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’innovation se concentre uniquement dans les grandes métropoles, plusieurs études montrent que les villes secondaires africaines deviennent des laboratoires d’initiatives locales. Grâce à une densité urbaine plus modérée, un coût de la vie moins élevé et un tissu social dense, ces villes favorisent l’éclosion de solutions adaptées aux réalités locales.

À Kisumu, au Kenya, la start-up Bacchus Energy développe des mini-réseaux solaires pour alimenter les ménages et PME hors couverture du réseau national. À Gulu, l’université locale incube des projets agrotech qui soutiennent les petits agriculteurs dans la région du nord de l’Ouganda. Ces exemples illustrent comment l’innovation dans les villes secondaires peut répondre aux défis ruraux et urbains simultanément.

  • Disponibilité de foncier à moindre coût pour les PME
  • Niveau élevé d’engagement communautaire qui facilite les projets pilotes
  • Partenariats ville-agriculture pour l’innovation dans les chaînes de valeur agroalimentaires

Amélioration des infrastructures et connectivité

Le développement des villes secondaires africaines repose aussi sur l’amélioration des infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunications. Dans leur stratégie « Agenda 2063 », l’Union africaine identifie l’intégration régionale par les corridors commerciaux comme vecteur clé de la croissance inclusive. Les villes secondaires positionnées sur ces axes — comme Mbujimayi (RDC) ou Tamale (Ghana) — bénéficient directement de ces investissements.

La prolifération des projets de routes pavées, d’installations solaires et de réseaux de fibre optique transforme littéralement ces localités. Le programme Compact with Africa lancé par le G20 a par exemple débloqué des fonds pour l’amélioration de la logistique urbaine dans plusieurs villes secondaires en Afrique de l’Ouest.

Plus que de simples points de transit, ces villes deviennent des hubs économiques, attirant de nouveaux investissements dans l’immobilier, la distribution, l’industrie légère ou encore les services numériques.

Un enjeu pour la planification et la gouvernance urbaine

La croissance non encadrée des villes secondaires peut toutefois engendrer de nombreux défis : développement informel incontrôlé, pressions foncières, services urbains insuffisants. La planification urbaine inclusive devient donc un impératif stratégique pour éviter que ces pôles ne deviennent de nouveaux épicentres de pauvreté urbaine.

Des initiatives émergent pour répondre à cet enjeu. En Côte d’Ivoire, le programme Villes Durables financé par l’AFD et mis en œuvre avec le gouvernement ivoirien cible six villes secondaires — dont Korhogo et Daloa — pour l’amélioration des systèmes de mobilité, gestion des déchets et planification foncière.

Il est essentiel de renforcer les capacités des autorités locales sur le plan fiscal, technique et administratif. Le développement urbain durable est profondément lié à la gouvernance locale : des villes bien gérées attirent davantage d’investissements et offrent de meilleures perspectives à leur population.

Une attractivité croissante pour les investisseurs et les chaînes d’approvisionnement

L’expansion industrielle et la recherche d’options de production abordables amènent de plus en plus de groupes africains et internationaux à établir des bases dans des villes secondaires. Ce phénomène est renforcé par l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAF), qui crée un marché de 1,4 milliard de consommateurs et pousse à la diversification géographique des activités économiques.

Les chaînes d’approvisionnement dans l’agro-industrie, le textile ou les matériaux de construction se déplacent vers l’intérieur du continent, favorisant ces pôles secondaires. À titre d’exemple, l’augmentation continue des exportations de mangues transformées de Sikasso (Mali) ou les textiles écologiques produits à Bahir Dar (Éthiopie) démontrent cette transition vers des pôles intermédiaires efficaces.

  • Moindre pression immobilière par rapport aux capitales
  • Proximité des zones de production agricole ou minière
  • Coûts salariaux compétitifs pour les PME industrielles

Préparer l’avenir à l’horizon 2040

À l’horizon 2040, l’Afrique sera la région du monde avec la plus forte croissance urbaine, abritant plus de 1,2 milliard d’urbains selon les projections de l’ONU-Habitat. L’avenir du continent ne se dessinera pas uniquement dans les grandes villes comme Lagos, Johannesburg ou Abidjan, mais aussi dans ces centres intermédiaires en plein essor.

Encourager leur développement implique une synergie d’actions : politiques nationales de déconcentration, financements accessibles pour les collectivités locales, renforcement des infrastructures, coopération décentralisée, et implication des citoyens dans les décisions publiques. La perspective d’une urbanisation équilibrée et polycentrique n’est plus une utopie, mais une nécessité stratégique.

Pour les acteurs économiques, les ONG, les investisseurs et les gouvernements, miser sur les villes secondaires africaines, c’est anticiper la prochaine frontière de la croissance inclusive et résiliente. Ces villes, jadis périphériques dans les plans de développement, incarnent désormais un avenir où prospérité rime avec proximité, durabilité et innovation progressive.

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